Les ATP sont en deuil. Melly Puaux qui accompagna l’association pendant plus de 50 ans, membre précieux de notre conseil d’administration, nous a quittés le 2 janvier dernier pour rejoindre Paul, son vœu le plus cher depuis la disparition en 1998 de celui dont elle partagea avec enthousiasme les généreux engagements et les lourdes responsabilités.
Secrétaire du Festival dès 1967, discrète et modeste mais rayonnante et d’une efficacité exceptionnelle, elle accomplit dans l’administration des tâches essentielles, étant au fait de tout et agissant sur tous les fronts. Pendant plus de 30 ans elle est aux côtés de Paul, dans les bureaux du Festival, dans leurs périples les plus lointains, active, attentive, rigoureuse, stricte sur sa place et son rôle. Elle fonde avec lui la Maison Jean Vilar, participe aux ATP et le seconde avec énergie dans toutes ses entreprises.
Après le cataclysme que fut pour elle le décès de Paul, surmontant son désespoir, elle reprend le flambeau et, vivante mémoire du Festival, elle revendique le Droit de Mémoire(S),qui sera le titre du recueil de témoignages publié en 2008.Elle accomplit sa mission de transmission par des publications qui font date sur Jean Vilar, le théâtre populaire, Paul Puaux…, des interventions en milieu scolaire et universitaire, des conférences publiques…Pendant trois ans elle assure brillamment, à l’université d’Avignon un cours de Master, dans le cadre du laboratoire de Théâtre, communicant à son auditoire captivé sa passion et son savoir, à titre bénévole, refusant toute rémunération.
Aux ATP, nos abonnés se souviennent avec émotion du bord de scène qu’elle anima sur les Notes de Services de Jean Vilar où ressurgit, toujours vivant, par des anecdotes inédites, le temps héroïque du TNP. Toujours fidèle aux ATP, son dernier ouvrage, en 2018, Les Amis du théâtre populaire hier et aujourd’hui, leur est consacré, publié à compte d’auteur, dans le droit fil d’une rectitude sans concession.
Femme de conviction, passionnément attachée à l’éthique de Jean Vilar – « la liberté d’esprit et de l’esprit » – elle défendit avec une détermination sans faille les grands principes du service public, au théâtre, dans sa carrière professionnelle, au cours d’une vie de combats généreux, d’engagements courageux et de résistance contre les perversions de la société. Figure exemplaire, authentique Mère Courage, par sa rigueur intellectuelle, sa force morale, son indéfectible fidélité à ses engagements, elle montre, en ces temps incertains, la route à suivre : « continuer », c’est le dernier mot de La Danse de mort de Strindberg, que Vilar aimait à citer.
Bernadette Rey-Flaud Alphandéry, Présidente des ATP d’Avignon
Melly Puaux avec Bernard Faivre d’Arcier, Directeur du Festival d’Avignon (1980-1984 & 1993-2003)
Témoignages
Cécile Helle, Maire d’Avignon
C’est avec une très grande tristesse que je viens d’apprendre le décès de Melly Puaux, survenu ce 2 janvier 2021.
Au nom des Avignonnais et de tous les amoureux de la culture et du rêve poursuivi par Jean Vilar autour du « Miracle d’Avignon », je souhaite rendre un hommage sincère et ému à cette grande dame de la culture, fondatrice de la Maison Jean Vilar avec son mari Paul Puaux et historiographe de Jean Vilar, comme elle aimait le rappeler.
Une figure incontournable du Festival d’Avignon, toujours disponible pour partager avec chacun et chacune toutes les petites histoires qui composent aujourd’hui la grande histoire de cette incroyable aventure humaine et artistique, que nous connaissons tous et qui fonde notre patrimoine culturel.
Jusqu’aux derniers instants, Melly Puaux ne cessa jamais de défendre l’idée d’un théâtre populaire pour tous, œuvrant avec une énergie débordante et une précision sans faille à conserver la mémoire de ce qui est devenu notre miracle commun, marquant à jamais notre cité. Un héritage que nous nous devons de continuer à faire briller et évoluer, qui nous éveille et nous élève.
Armelle Héliot, journaliste et critique de théâtre française
Melly Puaux, la mémoire d’Avignon
Elle avait débuté avec Chéreau et Vincent avant de devenir, auprès de son mari Paul Puaux, la sentinelle d’une époque glorieuse. On lui doit de nombreux ouvrages. Elle s’est éteinte à 77 ans.
À côté de Paul, si grand, comme un bel arbre des Cévennes, Melly Puaux semblait petite. Ils ne se quittaient pas. Un couple, un duo de travail. Des années, ils ont œuvré ensemble. Ils ont bâti la Maison Jean-Vilar, un des lieux les plus vivants d’Avignon et aussi des festivals car, si Paul Puaux succéda à la direction de la manifestation, à Jean Vilar, il ne fit jamais rien sans que Melly fût là. Associée intellectuellement et puissamment influente, cette femme pas comme les autres, s’est éteinte le 2 janvier 2021 dans sa chère maison de Prat-Souteyran, en Lozère.
C’est là qu’elle vivait presque complètement depuis plusieurs saisons. L’appartement de la rue de Provence, joli grenier de bohème, riche de souvenirs, de documents, elle l’avait encore occupé ces derniers temps, coincée par des ennuis de santé un moment. Mais, à Paris, elle n’était pas heureuse, malgré quelques amis et la chaleur de l’entourage de l’immeuble. Pas plus qu’elle ne l’était à Avignon, où elle possédait un charmant pied-à-terre. Mais elle mettait son honneur à n’y séjourner qu’hors saison, hors saison du Festival, surtout.
Peu dire que cette femme intelligente et sans doute trop sensible, était en délicatesse avec la Cité des Papes et ses institutions principales. Tout la blessait.
Il y a plus de cinquante ans, Melly Touzoul était comédienne. Une Gelsomina, avec ce visage rond et ce regard vif et candide à la fois. Elle fait alors partie de la légendaire troupe du Lycée Louis-le-Grand avec Patrice Chéreau, qui dessine et imagine des décors, et Jean-Pierre Vincent, qui met en scène. On la voit sur toutes les photographies de l’époque. Maquillages très blancs, parfois. Ils ont vingt ans et quelque. Ils ont du succès. Chacun va suivre sa propre voie.
Melly Touzoul va très vite s’ancrer à Avignon. Elle gagne sa vie en travaillant pour la municipalité, dès 1967. La jeune femme est mise à disposition du Festival. Elle est secrétaire permanente. Elle va devenir la mémoire vive de l’histoire du Festival. Elle connaît tout, et tout le monde. Elle est passionnée et très rigoureuse.
En 1977, elle épouse Paul Puaux (divorcé d’un premier mariage en 41) à la Mairie du XIXe, à Paris, face aux Buttes-Chaumont. Mais leur passion, c’est le sud. Paul Puaux est né en Ardèche. D’un côté et de l’autre du Rhône, très au sud, c’est là qu’est leur destin. Paul, né le 25 août 1920, était devenu, comme son père, instituteur. Pendant la guerre, il est résistant, très engagé et adhère au Parti Communiste. Il y sera sa vie durant fidèle, même s’il prend parfois ses distances. Il ne quitte l’Éducation Nationale qu’en 1967 pour devenir administrateur permanent du Festival.
En 1972, Melly Touzoul publie, avec Jacques Téphany, époux de Dominique Vilar, la fille du sage de Sète, et futur directeur de la Maison Jean-Vilar, un ouvrage à la gloire du fondateur : Jean Vilar, mot à mot (Stock/Théâtre Ouvert éditeurs). Ce sera l’une des grandes œuvres de Melly Puaux : dans l’administration du Festival, elle s’occupe des archives, de la documentation, de la diffusion. C’est un Data Center à elle toute seule. Une encyclopédie savoureuse. Car, en parallèle à ces austères travaux, elle va accompagner Paul dans le monde entier, d’au-delà du rideau de fer aux États-Unis, de Chine au Japon. Elle connaît tout, elle retient tout. Et ils ont vécu d’inénarrables aventures. Diplomatiques, artistiques, personnelles. Dommage que Melly Puaux n’ait jamais raconté ces histoires-là. Mais elle avait le sens de l’État, du service public. Même si elle s’était parfois beaucoup amusée, elle n’en faisait pas gloriole et elle était très vigilante et stricte. Mais à son initiative et grâce à son savoir, des ouvrages très précieux ont été publiés. Nous reproduisons en note la liste que la Maison Jean-Vilar a publiée cet après-midi, en annonçant la mort de Melly Puaux.
Avec Paul, elle donna vie à la Maison Jean-Vilar. Installée à l’Hôtel de Crochans, au pied du palais, le bâtiment rassemble une antenne du département des spectacles de la Bibliothèque nationale de France et les archives du Festival et celles, plus particulièrement, de Jean Vilar. Melly n’y eut jamais de poste officiel. Mais elle y travailla avec une énergie rayonnante. À la mort de Paul Puaux, le 27 décembre 1998, elle n’avait donc plus aucune raison légale d’y demeurer et cela lui fit beaucoup de chagrin. Comment comprendre, lorsque depuis 1967, on a travaillé à la vie du Festival, de ne plus être associée à cette institution de « Maison Jean-Vilar » que l’on a contribué à faire naître, avec le soutien des tutelles ? Mais c’est ainsi. Avec ses amis d’Avignon, Jean Autrand, décédé il y a plusieurs années, ou le Père Chave, mort lui aussi, plus récemment, avec Bernadette Rey-Flaud, universitaire qui fait toujours beaucoup pour le théâtre, avec tous ceux qui sont les CEMEA, ceux qui sont les héritiers de l’éducation artistique de l’après-guerre, Melly Puaux continuait de converser, de débattre, de se souvenir et d’imaginer l’avenir. […]
Olivier Py, Directeur du Festival d’Avignon
Avec Melly Puaux disparaît une conscience du théâtre. Elle partageait avec Paul Puaux une éthique inébranlable de la démocratisation culturelle. Elle savait convaincre avec délicatesse et intelligence. Sa vie aura été dédiée à cette forme d’art si souvent incomprise qu’on appelle le théâtre populaire. L’exigence le disputait chez elle à l’humour. Témoin d’une des plus grandes aventures de l’histoire de l’art, elle en portait le souvenir non pas dans la nostalgie mais dans l’espérance en l’avenir. Bien sûr Avignon se souviendra de sa présence nécessaire et, quant à moi, de la manière dont elle m’a encouragé et soutenu durant la générale du Visage d’Orphée.
Un moment de silence s’impose. Melly aurait préféré, je crois, à toute commémoration la poursuite de son combat, du combat d’Avignon, et du nôtre désormais.
Nathalie Cabrera, Maison Jean Vilar
Nous avons l’immense regret de vous faire part du décès à 77 ans de Melly Puaux, survenu le 2 janvier 2021 dans sa maison de Prat-Souteyran (Lozère).
Au côté de Paul Puaux de 1971 à 1998, puis jusqu’au début des années 2000, Melly a œuvré, avec un dévouement infini, à la mémoire de Jean Vilar et du Festival d’Avignon, et au rayonnement de la Maison Jean Vilar.
Ancienne comédienne, qui débuta dans la troupe de Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent au Lycée Louis-le- Grand, Melly Touzoul rejoint le Festival d’Avignon en 1967 au poste de secrétaire permanente. Elle épouse Paul Puaux en 1977 et l’accompagne étroitement dans son action jusqu’à sa mort en 1998.
À la Maison Jean Vilar, Melly Puaux prend particulièrement en charge les archives personnelles de Jean Vilar tout en collectant nombre d’archives et de témoignages des collaborateurs de Vilar.
Par ses nombreux ouvrages, par les expositions et rencontres à la Maison Jean Vilar et par le lien qu’elle a créé avec des artistes, chercheurs et responsables culturels, elle a su construire des outils essentiels pour transmettre une histoire à laquelle elle était passionnément attachée.
Sa vie durant, Jean Vilar a œuvré pour un théâtre populaire. À son tour, le travail de Melly Puaux a été déterminant quant à la transmission et à l’accessibilité de l’œuvre de Jean Vilar et de ses collaborateurs.
Jacques Olivier Durand, écrivain, homme de théâtre
Bien sûr, il y avait Paul dont elle disait : « Il était tout dans ma vie ».
Mais derrière, toujours, il y avait Melly, présente, discrète, attentive, efficace.
À la direction du Festival d’Avignon, mais plus encore sans doute à celle de La Maison Jean Vilar où elle a beaucoup, beaucoup œuvré, refusant titres et honneurs, mais où elle veillait à ce que l’esprit insufflé par Paul et l’exigence de la ligne de conduite qu’il avait tracée soit respectés. Elle se battit jusqu’au bout, bec et ongles, pour qu’il en fût ainsi.
Dans un de ses derniers courriers, envoyé de leur Lozère chérie, elle m’écrivait : « Nous devons nous battre pour que l’âme de La Maison et les valeurs que nous avons toujours défendues avec Paul, demeurent ».
Ainsi était Melly, fidèle, déterminée, généreuse, battante, coriace même dans ses combats. Sentinelle exigeante. Femme de convictions. Femme de l’ombre lumineuse.
Liste des ouvrages :
Mot pour mot / Jean Vilar, textes réunis et présentés par Melly Touzoul et Jacques Téphany, Paris, Stock, 1972.
« Lorenzaccio », mises en scène d’hier et d’aujourd’hui, exposition, Avignon, Maison Jean Vilar, 1979 ; catalogue par Monique Cornand et Melly Puaux, Paris, Bibliothèque nationale, Département des arts du spectacle, 1979.
Jean Vilar : du tableau de service au théâtre, notes de service de Jean Vilar rassemblées par Melly Puaux, Louvain, Cahiers théâtre Louvain, 1985.
Théâtre citoyen : du Théâtre du peuple au Théâtre du soleil, texte de Pascal Ory ; choix de citations et d’illustrations par Melly Puaux, Association Jean Vilar, 1995.
L’aventure du théâtre populaire : d’Épidaure à Avignon, Melly Puaux, Paul Puaux, Claude Mossé, Monaco-Paris, Éd. du Rocher, 1996.
Paul Puaux, l’homme des fidélités, Association Jean Vilar, 2000.
Georges Wilson : travail de troupe (1950-2000), Avignon, Association Jean Vilar, 2001.
Honneur à Vilar, sous la direction de Melly Puaux et Olivier Barrot, Arles, Actes Sud-Papiers, 2001.
Jean Vilar par lui-même, Association Jean Vilar, Avignon, Maison Jean Vilar, 2003.
Droit de mémoire(s), Avignon années 1970, de Melly Puaux, illustrations Desclozeaux, 2008.
Les Amis du Théâtre Populaire hier et aujourd’hui…, coordination Melly Puaux, Montreuil, Association Théâtre Populaire, 2017.